Dernière lettre de Missak MANOUCHIAN à sa femme, avant d'être fusillé le 19 février 1944. J'ai pensé à cette lettre en entendant Sarkosy vouloir créer un "ministère de l'immigration et de l'identité nationale"
De tout temps les étrangers ont été présentés comme fauteurs de désordre, de crime. C'était aussi le but de l'affiche rouge réalisée par les services de la propagance allemande pour dire aux Français que les résistants (les criminels) étaient des étrangers.
Le groupe est essentiellement composé d’étrangers : huit Polonais, cinq
Italiens, trois Hongrois, deux Arméniens, un Espagnol, une Roumaine et
trois Français seulement. Parmi eux, neuf sont juifs et tous sont
communistes ou proches du P.C. Leur chef est l’Arménien Missak
Manouchian.
Ce sont tous ces "étrangers" qui ont fait la France d'aujourdui.
"Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde.
Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive
comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais
que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat
volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur
à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de
la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les
combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au
moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple
allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme
châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres
peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera
plus longtemps. Bonheur à tous... J’ai un regret profond de ne t’avoir
pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme
tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre,
sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma
dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre
heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta
sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit
de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat
régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu
feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu
apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je
mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la
sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car
personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je
l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant
le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à
la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je
pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du
mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui
nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les
amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon
cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari."
Manouchian Michel.